Entre le dessert et le café
Pour cette consigne, il fallait ecrire une nouvelle breve en 1500 signes espaces compris.
Assise au café de nos années lycée, j’observe mon amie d’enfance caqueter comme une sorcière.
Comme un être à sa fin voit défiler les images de sa vie; celles des quarante dernières années se bousculent devant mes yeux. Les récréations, les soirées pyjama et les disputes autour de garçons. Nos fous rires et nos bêtises. Sa première grossesse et nos vacances en famille.
Et puis son divorce. Son sourire envolé, et ses lèvres pincées d’où ne s’écoule que le venin désormais.
Elle déblatère des horreurs sur nos connaissances depuis le début du repas.
Un coup d’œil au cheesecake dégoulinant de crème dans mon assiette me donne la nausée, tandis que l’amertume qui consume Sonia m’éclabousse le visage. La brutalité de l’évidence me saisit: cette femme grise, rongée par la jalousie et le désespoir n’est plus mon amie.
— Tu as eu des nouvelles de Violette ? je demande sans conviction; pour me détourner du dégoût qui gronde en moi.
— Mais oui attends voir ! Elle est enceinte ! D’ailleurs, j’espère qu’elle va le perdre ce bébé, t’imagines sa vie avec une mère pareille ?
Frappée par la violence des mots, je lâche mon rosé, ignorant la tache sur ma robe.
Et c’est là, entre le dessert et le café, que notre amitié se brise.
— Hey, Alice, tu m’écoutes ?
Le serveur dépose les cafés, je le bouscule et me précipite hors du restaurant pour reprendre mon souffle. Les gaz qui s’échappent des voitures sont une bouffée d’air pur à côté de l’aura de cette inconnue restée à table avec sa noirceur.